Sciences

Non, le loup terrible n'a pas été ramené à la vie

Annoncée en grandes pompes par l’entreprise Colossal Biosciences, la « résurrection » du loup terrible interroge sur la difficile définition d'une espèce et sur les perspectives amorcées par cette prouesse technologique.

L'art de la « désextinction »

Loup terrible et smilodon

Deux loups terribles (Aenocyon dirus) et un tigre à dents de sabre (Smilodon californicus) se disputent une carcasse de mammouth de Colomb (Mammuthus columbi)

CC BY-NC Robert Bruce Horsfall

Le lundi 7 avril 2025, la société américaine Colossal Biosciences a annoncé avoir réussi l’impossible : « ressusciter » une espèce disparue depuis près de 10 000 ans, le loup terrible (Aenocyon dirus). Ce canidé de grande taille originaire d’Amérique du Nord a été popularisé, entre autres, par la célèbre série télévisée Game of Thrones, dans laquelle il est décrit comme un animal aux proportions démesurées, proche des carnivores préhistoriques les plus impressionnants à l’instar du Tigre à dents de sabre (Smilodon spp.).

Pourtant, c’est par la publication de photos et de vidéos de trois louveteaux (Romulus, Remus et Khaleesi) nés à l’automne et l’hiver 2024 que l’entreprise Colossal Biosciences a annoncé la « désextinction » du loup terrible ! Pour en arriver là, la société se serait basée sur de l’ADN extrait d’une dent vieille de 13 000 ans et d’un fragment de crâne vieux de 72 000 ans pour induire 20 mutations génétiques réparties sur 14 gènes (dont la nature n’a pas encore été révélée) présents dans les cellules sanguines de loups gris en usant d’un outil bien connu des généticiens, CRISPR-CAS9.

En réalité, le loup terrible se rapprochait plutôt, en termes de taille, des plus grandes formes modernes de loup gris (Canis lupus) et pesait entre 60 et 68 kg. Ses dents, en revanche, étaient plus grandes, lui offrant une meilleure capacité de cisaillement, et la force de morsure de ses canines était supérieure à celle de toutes les espèces de Canis connues ! Des caractéristiques adaptées à la chasse aux mégaherbivores comme les chevaux de l’Ouest, les bisons anciens ou encore les chameaux. La disparition de ses proies, le changement climatique et/ou la compétition avec d’autres espèces ont finalement conduit à son extinction il y a seulement 10 000 ans, au début de l’Holocène.

Le saviez-vous ?

Plus connue sous le terme de « ciseaux moléculaires », la technique CRISPR-CAS9 permet de détourner un système bactérien pour qu’il soit capable de modifier une séquence génétique ou de la couper avec simplicité, efficacité et précision. De vrais « ciseaux à ADN » en somme !

Ces cellules de loups gris modifiées génétiquement ont ensuite été utilisées comme cellules embryonnaires, inséminées dans des chiennes porteuses. Une prouesse technique indéniable qui a permis de donner naissance à trois individus disposant de caractéristiques morphologiques (couleur blanche du pelage, grande taille, etc) proches de celles du loup terrible… et c’est là que le bât blesse.

Définir l’espèce : les limites de l’approche morphologique

Loup gris (Canis lupus)

Loup gris (Canis lupus)

© Piotr Krzeslak - stock.adobe.com

Dans un article paru le 7 avril dans la revue New Scientist, Beth Shapiro, directrice scientifique de Colossal Biosciences, affirme que ses équipes se basent sur une approche morphologique du concept d’espèce : « si cela ressemble à un animal, c’est qu’il s’agit de cet animal ». Comprenez que même si les louveteaux ne possèdent pas un génome identique à 100 % à celui du loup terrible, ils appartiendraient à la même espèce. Cette approche, valide scientifiquement, est souvent utilisée lorsque l’on souhaite classer des fossiles, en l’absence de données génétiques, ce qui n’est pas exactement le cas pour le loup terrible.

« Il y a une forme de petite supercherie puisque nous ne sommes pas dans une situation où il existe un doute quelconque sur la nature de ces animaux, explique Jean-Baptiste Boulé, directeur de l'unité Structure et Instabilité des Génomes au Muséum national d’Histoire naturelle. Ce sont simplement des loups gris mutés pour ressembler à des loups terribles, en aucun cas des loups terribles au sens de l’espèce qui a pu exister jusqu’à il y a 10 000 ans. »

Le parti pris de ne s’appuyer que sur la morphologie pour définir une espèce est évidemment peu solide. Un magnifique contre-exemple est celui des coraux : sur une même espèce, on peut avoir des morphologies complètement différentes.

Alexis Lécu, directeur scientifique au Parc zoologique de Paris

La « désextinction » au service de la conservation ?

Aujourd'hui, les trois louveteaux s’épanouissent dans un espace protégé de 800 hectares, où ils seront nourris et observés à l’état captif pour vérifier que les modifications effectuées sur leur génome n’affectent pas leur santé ou leur durée de vie. Un contexte qui n'aboutira pas à une procédure de réintroduction du loup terrible en Amérique, une approche qui serait de toute façon peu pertinente, comme le rappelle Alexis Lécu : « En étant caricatural, faire revenir une espèce dont la niche trophique était les ongulés de grande taille ne semble pas pertinent en 2025, puisque cette source ne se porte pas franchement mieux que lors de la disparition de ce prédateur. »

Pour Colossal Biosciences, la technologie développée ici pourrait surtout permettre la conservation d’espèces en voie de disparition via la réintroduction artificielle de diversité génétique. La diversité des gènes chez une espèce donnée représente en effet un formidable outil d’adaptation : plus elle est importante, plus elle permet de trouver des parades à l’apparition de nouvelles maladies ou de sélectionner de nouveaux traits pour faire face à des changements environnementaux. Mais la question de la réintroduction de diversité génétique reste complexe : « Introduire de la diversité au hasard dans le génome conduirait presque exclusivement à introduire des modifications délétères, explique Jean-Baptiste Boulé. La diversification génétique est un long processus soumis à la sélection naturelle et qui ne se décide pas comme ça à coup de baguette magique. Idée intéressante donc, mais au réalisme douteux. »

Une « résurrection » d’allèles génétiques

Si les termes employés par Colossal Biosciences sont discutables et portés par une communication ostentatoire, ils permettent néanmoins de mettre en évidence une véritable « résurrection », non pas celle du loup terrible, mais bien des allèles génétiques disparus que portait ce canidé. Une avancée impressionnante dont la pertinence en matière de conservation restera encore à déterminer.

On peut dire que Colossal Biosciences a réussi un bon coup de publicité en réalisant une prouesse technologique qui fait rêver les spectateurs et lecteurs de fantaisie, façon Game of Thrones, Jurassic Park ou X-men [...]. Mais le loup terrible, au-delà de ces quelques allèles, c’est un environnement, une façon de vivre avec des apprentissages transmis de génération en génération. Donc non, par cette approche génétique, nous n’avons pas ressuscité un loup terrible, juste fait naitre un loup gris aux traits de loup terrible.

Jean-Baptiste Boulé, directeur de recherche au Muséum national d'Histoire naturelle (Structure et Instabilité des génomes UMR 7196 / U1154)

Relecture scientifique

Image décorative

Alexis Lécu

 Directeur scientifique du Parc zoologique de Paris

Jean-Baptiste Boulé

Jean-Baptiste Boulé

Directeur de recherche au Muséum national d'Histoire naturelle (Structure et Instabilité des génomes UMR 7196/U1154)