Les dégâts de la surpêche sont-ils réversibles ?

Les poissons, mollusques et crustacés constituent la principale ressource de protéine animale et de revenu de nombreuses populations dans le monde. Toutefois, la multiplication des techniques de pêche peu vertueuses aboutit à une surexploitation d’une grande partie de ces ressources halieutiques. La surpêche, combinée aux pressions dues aux changements globaux, détruit les populations marines animales et les habitats, impacte l’ensemble de la biodiversité océanique et des humains qui en vivent. Pourtant, une meilleure gestion de l’activité démontre qu’une pêche durable est possible.

  • 80
    millions de tonnes de poissons, mollusques et crustacés sont capturées chaque année dans les mers du globe
    50,5 %
    des stocks de poissons exploités de façon maximale (évaluation de 2021)
    37,7 %
    des stocks de poissons surexploités (évaluation de 2021)
    40 %
    des prises mondiales dues à la pêche artisanale
    500
    millions de personnes dans le monde vivent de la pêche artisanale

Qu’est-ce que la surpêche ?

Grande quantité de poissons pêchés par un chalutier industriel 

© Igor Chaikovskiy - stock.adobe.com

Des populations de poisson surexploitées

On parle de surpêche lorsque la quantité d’animaux prélevée en mer ne permet plus à une espèce de se renouveler à un rythme garantissant une stabilité du nombre d’individus disponibles à la pêche. Dans ce cas, il n’y a plus suffisamment de reproducteurs, car trop d’adultes ont été capturés, et les juvéniles le sont également avant de parvenir à leur maturité sexuelle.

Cette raréfaction des populations aboutit parfois à l’effondrement de certaines d’entre elles, c’est-à-dire l’atteinte d’un seuil critique où leur renouvellement est tellement compromis qu’il risque de déboucher sur la disparition de l’espèce.

Le résultat d’une pêche toujours plus gourmande

Le pourcentage de poissons 1 débarqués considérés comme issus de populations menacées de surexploitation (près de 38 % en 2022) continue d’augmenter 2 à l’échelle mondiale (mais baisse dans les eaux françaises). Cette situation est liée à plusieurs facteurs :

  • la pêche illégale qui ne respecte pas les quotas autorisés, opère dans des zones où l’activité est interdite ou avec des techniques très destructrices,
  • la concentration de l’activité dans des flottes industrielles, des navires de très grande taille qui exploitent au maximum les ressources disponibles en employant des moyens toujours plus efficaces pour repérer les poissons (sonars…) comme pour les capturer (filets géants, chaluts de fond…),
  • l’accroissement de la population humaine qui maintient les prises en mer à un taux élevé malgré l’essor de l’aquaculture,
  • la pêche fourragère (ou pêche minotière) qui surexploite certaines populations destinées à fournir de la farine et de l’huile de poisson, principalement pour nourrir les élevages aquacoles (22 % de la pêche marine).
  • 1

    Sauf précision, les indications données concernant les poissons s’appliquent également à l’ensemble des espèces animales pêchées, incluant mollusques et crustacés.

  • 2

    FAO. 2024. La Situation mondiale des pêches et de l’aquaculturedoi.org/10.4060/cd0683fr

Pourcentage des stocks halieutiques se situant à un niveau biologiquement viable ou insoutenable, par grande zone de pêche de la FAO, 2021

© Food and Agriculture Organization of the United Nations. Reproduced with permission.

Les leçons de la disparition de la morue atlantique

Durant 500 ans, la morue (ou cabillaud) a abondé en Atlantique nord-ouest. Mais à partir des années 1950, la pêche traditionnelle à la palangre —des lignes d’hameçons— a cédé la place à de grands chalutiers qui ont écumé des zones de plus en plus vastes et profondes. Dès 1970, les captures se sont effondrées, car la morue atteint sa maturité sexuelle vers 5 à 8 ans et sa taille maximale vers 15 ans ; son exploitation intensive a annihilé ses chances de se reproduire. En plus, sa raréfaction a favorisé des espèces comme les harengs ou les capelans, friands de… larves de morue. Disparition garantie. Malgré un moratoire en 1992, la morue n’est pas revenue dans ces eaux.

Les impacts environnementaux et humains de la surpêche

Une chaîne alimentaire bouleversée

Les gros carnivores comme le thon, la morue (cabillaud) ou la dorade sont des superprédateurs qui contribuent à la régulation des écosystèmes. Lorsqu’ils disparaissent, leurs proies se multiplient. Et leurs propres prédateurs, par exemple les orques, doivent migrer ou se rabattre sur d’autres ressources, ce qui augmente la compétition entre prédateurs de ces proies de substitution.

Les petits poissons gras comme les sardines ou les anchois figurent en tête du hit-parade des poissons les plus pêchés (notamment pour nourrir l’aquaculture). Leur surexploitation nuit à nombre d’oiseaux marins dont ils constituent la base alimentaire. Une étude internationale 3 a établi qu’une réduction d’un tiers de ces poissons entraînait une chute brutale de naissances de poussins.

Des habitats marins déstabilisés ou détruits

La disparition de la morue en Atlantique Nord a favorisé la prolifération des poissons herbivores qu’elle prédatait, et ces derniers ont épuisé les herbiers marins. À l’inverse, dans le Pacifique, la diminution des poissons herbivores provoque des invasions d’algues dans les récifs coralliens.

Certaines techniques de pêche impactent directement les habitats. L’exemple le plus extrême étant l’emploi de la dynamite, utilisée dans le passé pour pêcher sur les récifs coralliens. Depuis plusieurs années, c’est l’usage des chaluts de fond qui fait débat. Aussi appelés chaluts démersaux, ces larges filets traînés sur le plancher océanique abrasent le sol, déplacent les sédiments et les espèces enfouies, arrachent herbiers et coraux sur leur passage. Ils déstabilisent des écosystèmes entiers dont dépend une faune benthique (vivant dans les profondeurs) très abondante, et en partie encore méconnue.

Tortues, dauphins et oiseaux sont aussi victimes de la surpêche

Les effets négatifs sur la biodiversité vont au-delà des espèces ciblées. Des espèces vulnérables non visées telles que des raies, tortues, dauphins et autres mammifères marins se prennent dans les filets. Et des oiseaux se font accrocher par les palangres, des lignes pouvant totaliser des milliers d’hameçons.

  • 3

    Philippe M. Cury et al., Global Seabird Response to Forage Fish Depletion — One-Third for the Birds. Science 334, 1703-1706 (2011). DOI:10.1126/science.1212928

Des lignes, filets ou casiers abandonnés dans l’eau étouffent des massifs de coraux ou d’algues et continuent de capturer des organismes marins, comme ici un poisson-perroquet en mer Méditerranée. On parle de « pêche fantôme ». 

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Quand la pêche joue avec le climat

L’océan est un régulateur du climat. En plus d’absorber l’excès de chaleur, il a déjà stocké 30 % du CO2 produit par les activités humaines. Le carbone de l’atmosphère est absorbé par le phytoplancton via la photosynthèse. Ces microalgues marines nourrissent des herbivores comme le krill, les méduses ou les larves de poissons qui vont conserver le carbone dans leurs tissus et ceux de leurs prédateurs, ou l’excréter dans leurs déjections. Celles-ci tombent ensuite au fond de l’océan, tout comme les animaux morts, où les sédiments séquestrent une grande partie de ce gaz à effet de serre. Surpêche et destruction des fonds mettent ces mécanismes en péril.

Essaim de krill Atlantique

Base alimentaire de baleines, phoques, poissons ou d’oiseaux, réservoir de CO2 le krill Antarctique (Euphausia superba) abonde dans l’océan Austral où sa pêche est régulée. Plus de 400 000 tonnes sont capturées chaque année, selon la CCAMLR, ajoutant un prélèvement humain sur cette espèce clé pour le fonctionnement de l’écosystème antarctique et le stockage de CO2 atmosphérique.

© dam - stock.adobe.com

Emplois et sécurité alimentaire menacés par la surpêche

10 % de la population mondiale dépend au moins partiellement de la pêche et de l’aquaculture pour survivre, en particulier des pêcheurs artisanaux et côtiers. La surexploitation des océans menace ces millions d’emplois ainsi que la sécurité alimentaire de 3 milliards de personnes pour lesquelles le poisson constitue la principale source de protéine animale.

Une gestion de pêche durable est-elle possible ?

Limiter l’impact des engins de pêche

C’est essentiellement la nature des techniques de pêche employées qui détermine leur impact environnemental. Une évaluation menée en France en 2024 4 confirme la nocivité des chaluts démersaux, et cela, quels que soient la taille des bateaux et leur lieu de pêche, côtier ou hauturier. L’étude, qui analyse également la rentabilité économique et sociale des différents types de pêche, plaide pour une réduction drastique du nombre de chaluts de fond et la généralisation des engins passifs dits « dormants » (lignes, casiers, filets statiques) ou l’utilisation de chaluts pélagiques (de pleines eaux).

Une réduction radicale des quotas de pêche au thon rouge en Méditerranée et le retour d’une pêche artisanale ont permis de reconstituer une partie de sa population. Mais la demande mondiale élevée maintient une pression importante sur cette population encore fragile.

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Quotas de pêche et subventions

Depuis les années 1970, des lois tentent de limiter la surpêche. En Europe par exemple, la pêche électrique, massivement destructrice, est bannie depuis 2019, et des taux autorisés de captures (TAC) sont mis en place depuis 1983.

En France, ces quotas, révisés chaque année, sont répartis entre les navires selon des paramètres économiques et sociaux, mais aussi d’antériorité, les bateaux exerçant déjà dans la zone étant prioritaires. Or, ce système bénéficie aux flottes industrielles qui concentrent également des subventions, notamment grâce à la détaxe gasoil dont ils sont très dépendants. Aussi, de nombreux chercheurs plaident pour que les critères scientifiques soient davantage pris en compte.

Jachères de la mer

Pour préserver les ressources, les prélèvements peuvent être momentanément interdits sur certaines zones, durant la période de reproduction par exemple, voire au-delà. En Polynésie française, cette mise en jachère, appelée Rahui,  a été réintroduite au début des années 2000. Définies et gérées en partenariat avec l’ensemble des populations locales, elles ont permis de reconstituer et même d’augmenter les « stocks » de poissons et crustacés, et donc les rendements de pêche.

En Méditerranée, le cantonnement de Cap Roux, situé en réserve naturelle, est une zone zéro pêche depuis 2001. La riche biodiversité qui croît dans ces 450 hectares essaime et se déplace alentour, alimentant ainsi les pêcheries qui bordent ce territoire.

Dans le golfe de Gascogne, l’interdiction totale de la pêche pendant un mois durant les hivers 2024 et 2025 a conduit à une réduction de 76 % des prises de petits cétacés (dauphins et marsouins) capturés dans les filets 5.

Scientifiques, gestionnaires et pêcheurs alliés pour une pêche durable

Dans les eaux des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), dans le sud l’océan Indien, une pêche non régulée avait décimé le colin de Kerguelen et le poisson des glaces dans années 1970. Puis dans les années 1990, leur nombre se raréfiant, ce fut le tour de la légine australe surexploitée par la pêche illégale.

Aujourd’hui, grâce aux mesures de régulation de la pêche entreprises par l’administration des TAAF et aux efforts de contrôle, les poissons des glaces et le colin de Kerguelen ont réinvesti leurs territoires, mais cela a pris 50 ans pour le colin. Depuis une quinzaine d’années, seule la légine australe est pêchée dans la zone avec des mesures de gestion et de contrôle très strictes pour préserver cette ressource. Et ce, grâce à une collaboration étroite entre gestionnaire, scientifiques et pêcheurs.

Des scientifiques du Muséum sont en charge du suivi des ressources marines exploitées des deux Zones économiques exclusives (ZEE) françaises autour des îles Kerguelen et Crozet. Ils surveillent l’état des populations et conseillent l’administration gestionnaire des TAAF sur les niveaux de capture de légine assurant une exploitation durable. Ils forment aussi les contrôleurs embarqués à bord de la poignée de bateaux (7 ou 8) autorisés dans la zone. De nombreuses données scientifiques sont collectées par les contrôleurs et les pêcheurs qui collaborent volontiers aux études scientifiques.

Agir depuis son assiette

Il est possible d’œuvrer à la préservation des océans en consommant moins de poissons et crustacés et en privilégiant les espèces dont les populations sont en bonne santé et capturées à la ligne, au casier. Mais déchiffrer les étiquettes codées chez le poissonnier n’est pas toujours facile. Le label MSC, certifiant une pêche durable, constitue un premier indicateur. Mais si certains louent les efforts qu’il implique et son soutien financier à des études scientifiques, d’autres estiment que son cahier des charges n’est pas encore assez contraignant. Le bilan annuel de l’état des pêcheries françaises réalisé par l’Ifremer aide aussi à se repérer. Enfin, des réseaux de pêcheurs proposent en vente directe des « paniers de la mer » garantissant une origine locale et durable.

Les enjeux de la surpêche par Harold Levrel, professeur d'économie écologique au Muséum national d'Histoire naturelle

© MNHN - S. Pagani

Article rédigé en mai 2025

Relecture scientifique

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Clara Peron

Écologue spécialisée dans milieux marins, maître de conférence au Muséum national d’Histoire naturelle (Laboratoire de biologie des organismes et des écosystèmes aquatiques - UMR BOREA)

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Harold Levrel

Professeur en économie de l’environnement au Muséum national d’Histoire naturelle (Centre d’écologie et des sciences de la conservation - UMR CESCO 7204)

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