Pollutions marines, les animaux donnent l’alerte
L’océan est le réceptacle de toutes les pollutions liées aux activités humaines. Au-delà des dégradations les plus visibles telles que les marées noires ou l’accumulation de déchets plastiques, l’écosystème marin et ses organismes associés subit des pollutions plus discrètes, mais non moins destructrices, telles que la pollution sonore ou lumineuse. Les animaux marins — mammifères, oiseaux, mollusques… —, sont les premiers à subir les conséquences de ces modifications. Leur suivi permet de surveiller la progression et les impacts de nos pollutions, pour tenter d’y remédier.
Pollution plastique : un océan de déchets
Chaque minute, 15 tonnes de plastique terminent leur vie dans l’océan, soit l’équivalent d’un camion poubelle. Les gros déchets peuvent constituer des pièges mortels pour les oiseaux ou les animaux aquatiques s’ils s’emmêlent les pattes, le bec ou les nageoires dedans. Accumulés à la surface de l’eau ou déposés sur des algues et coraux, ces objets ou débris réduisent la quantité de lumière qui parvient à ces organismes. Et les plus petits résidus ne sont pas les moins nocifs.

Sur Clipperton, l’atoll le plus isolé au monde, situé à 1 000 km du Mexique, les oiseaux marins construisent leurs nids avec… les déchets plastiques qui s’accumulent sur ses plages.
© CNRS - S. Planes
Nid d'oiseaux réalisé avec des déchets plastiques sur l'île de Clipperton (océan Pacifique nord)
© CNRS - S. PlanesMicro-déchets, maxi-pollution
Le plastique est fabriqué à partir de polymères (un assemblage de molécules) principalement issus du pétrole, mélangés à des additifs chimiques, comme des colorants, etc. Sous l’action des rayons du Soleil, du sel ou de bactéries, il se désagrège en morceaux de plus en plus petits qui se disséminent dans l’environnement. Des particules s’échappent aussi d’une multitude de produits qui utilisent ce matériau : résidus de peinture, fibres de vêtements, usures de pneus laissés sur la route et lessivés par la pluie…
Ces microparticules — voire nanoparticules — flottent en surface, nagent dans toute la colonne d’eau, portées par les courants, sont ingérés par les poissons, eux-mêmes mangés par des mammifères (dont les humains) ou des oiseaux, ou encore se déposent sur les fonds marins.
Des microplastiques dans les intestins des concombres de mer
Pour évaluer l’ampleur de leur présence au fond de l’océan, des chercheurs du Muséum étudient les holothuries (concombres de mer). Ces animaux puisent dans les sédiments les éléments nutritifs dont ils ont besoin, et aussi les polluants présents.
Des premières analyses conduites sur des holothuries vivant près des côtes hexagonales ont relevé des traces de plastique dans leurs intestins. Pour compléter ces mesures, l’équipe du Muséum analyse les intestins de spécimens collectés depuis 40 ans en milieu profond et conservés dans les collections du Muséum 1.
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Dettling, V., Laguionie, C., Beck, I., ter Halle, A., Albignac, M., Ratti, C., Fini, J.-B., and Samadi, S.: Monitoring the evolution of deep-sea microplastic pollution in the Indo-Pacific using natural history collection holothurian specimens, One Ocean Science Congress 2025, Nice, France, 3–6 Jun 2025, OOS2025-22, doi.org/10.5194/oos2025-22

Concombre de mer tropical (Pearsothuria graeffei). En recherchant les traces de plastiques dans les intestins de spécimens d’holothuries conservés dans les collections du Muséum, les scientifiques espèrent comprendre les mécanismes d’accumulation et d’assimilation de cette matière dans les fonds marins et dans les organismes qui y vivent.
© aquapix - stock.adobe.comVers une interdiction mondiale des plastiques à usage unique ?
Un Traité mondial contre la pollution plastique est en cours de discussion depuis 2022. Son objectif : mettre fin à cette contamination massive. Les principaux moyens identifiés, et soutenus par la communauté scientifique, consistent à réduire la production, à bannir les additifs chimiques reconnus toxiques et à améliorer le recyclage. Un accord n’ayant pas été trouvé en 2024, les discussions reprennent en août 2025.
Pollution chimique : les poissons s’asphyxient
Pesticides, engrais, détergents, pétrole, produits chimiques industriels, etc., se déversent dans l’océan, charriés par les rivières ou les eaux de ruissellement. Certains de ces produits ont une durée de vie extrêmement longue. Par exemple, on retrouve encore dans le sang humain et dans les poissons des traces de DDT, un pesticide abondamment utilisé en agriculture jusque dans les années 1970. Il fait partie des Polluants Organiques Persistants (POP) interdits par la Convention de Stockholm, qui liste les produits chimiques à bannir, car nocifs pour la santé humaine et l’environnement. Nombre de ces POPs sont des perturbateurs endocriniens affectant le développement.

Les marées vertes observées en Bretagne sont dues à un apport trop important de nutriments principalement issus des activités agricoles (élevage, épandage d’engrais…).
© DjiggiBodgi.com - stock.adobe.comMarées vertes et zones mortes
Les eaux de ruissellement transportent des eaux usées jusque vers l’océan ainsi que de grandes quantités de déchets organiques (fumier) et d’engrais agricoles. Riches en nitrates, ces derniers provoquent des proliférations d’algues. Ces accumulations végétales absorbent l’oxygène de l’eau, et lorsqu’elles meurent, les bactéries qui se développent pour les décomposer consomment le dioxygène restant. Des portions d’océan se trouvent alors dépourvues d’oxygène. C’est ce que l’on appelle des « zones mortes ». Les poissons fuient ces aires tandis que les microorganismes, coquillages, crustacés et autre faune marine peu mobile y meurent. Ce phénomène est aggravé par le réchauffement climatique. En 2024, l’UNESCO évaluait leur nombre à plus de 500, contre une quarantaine dans les années 1960 2.
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Unesco, State of the Ocean Report, 2024

Blanchiment du corail de la Grande Barrière de Corail en Australie. Les écosystèmes coralliens sont essentiels à la vie marine. Ils font office d’habitat, de nurserie, de garde-manger pour de nombreux organismes marins : depuis les microbactéries jusqu’aux poissons.
© Jam Travels - stock.adobe.comGaz à effet de serre : coup de chaud sur les coraux
L’accumulation de gaz à effet de serre, et en particulier le CO2, affecte aussi la biodiversité marine. Sous l’effet du réchauffement climatique, la température de l’océan augmente avec pour conséquence une modification de la salinité, une baisse du taux d’oxygène dans l’eau, le blanchissement des coraux et la disparition des récifs coralliens. Ces derniers sont aussi victimes de l’acidification de l’eau liée à l’augmentation du CO2 dans l’océan. Car cette baisse de pH affaiblit les organismes à squelette calcaire tels que les coraux et coquillages.
Pollution sonore : les baleines ne s’entendent plus
L’océan résonne de sons animaliers : chant des baleines, cliquetis et sifflements des dauphins, claquements ou vibrations sonores de poissons ou même couinement, grincement ou gazouillis générés par les tortues marines 3. Ces signaux sonores servent à signaler un danger, identifier un partenaire sexuel, transmettre des apprentissages aux plus jeunes…
Et certains animaux, en particulier les cétacés, utilisent l’écholocation pour se repérer, détecter des proies ou des prédateurs. L’émission et la réception de sons s’avèrent donc vitales pour de nombreuses espèces marines.
Les bruits humains assourdissent le monde sous-marin
Le trafic maritime, l’exploitation des océans (forages, usines marémotrices…), les essais militaires, les éoliennes en mer se démultiplient, augmentant le bruit au-dessus de l’eau, mais aussi dans l’eau. Or leurs fréquences sonores interfèrent avec celles des animaux marins — souvent des basses fréquences — et leur vacarme se propage sur de grandes distances, car le milieu aquatique diffuse les ondes acoustiques 4,5 fois plus vite que dans l’air ! Ainsi, l’écho d’un sonar peut couvrir 3,9 millions de km2 4.
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Chevallier, D., Maucourt, L., Charrier, I. et al. The response of sea turtles to vocalizations opens new perspectives to reduce their bycatch. Sci Rep14, 16519 (2024). doi.org/10.1038/s41598-024-67501-z
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Percevault, Louise. (2018). Pollution sonore des océans : Des solutions pour les mammifères marins. 10.13140/RG.2.2.35857.94564

Impacts du bruit d'origine humaine sur la faune marine
© IFAW – Rémi Hascoët
Seiche commune (Sepia officinalis)
© MNHN - A. IatzouraDes seiches désorientées ?
Cette pollution sonore affecte le comportement des animaux, soit parce que les sons anthropiques brouillent les messages sonores essentiels à la vie et à la reproduction marine, soit parce qu’elle entraîne des dérèglements physiologiques. Des bruits de forte intensité peuvent ainsi altérer les mécanismes de réception des cétacés et perturber leurs communications avec leurs congénères. Des études ont aussi montré que des organes utiles à l’équilibre (les statolithes) des seiches et poulpes étaient désorganisés par des fréquences élevées 5. Même les huîtres voient leur activité et leur croissance perturbées par les moteurs des bateaux.
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Solé, M., Sigray, P., Lenoir, M. et al. Offshore exposure experiments on cuttlefish indicate received sound pressure and particle motion levels associated with acoustic trauma. Sci Rep 7, 45899 (2017). doi.org/10.1038/srep45899
Le port de Vancouver baisse le son
Des textes internationaux tentent de fixer des seuils pour imiter l’intensité, la durée des émissions sonores et leurs zones d’impact. Mais sans véritable contrainte. Des initiatives existent toutefois pour limiter ces nuisances. Cela passe par une réduction de la vitesse des bateaux, la recherche et l’utilisation d’isolants phoniques, l’interdiction de navigation ou d’exploitation dans certaines zones. Au Canada, afin de protéger les orques, le port de Vancouver incite les navires à réduire leur vitesse, baisse les taxes pour des bateaux les moins bruyants et surveille en temps réel le niveau sonore dans l’eau et sur le port.
Pollution lumineuse : huîtres et seiches réclament le noir
L’alternance jour/nuit régule l’activité des êtres vivants sur terre comme en mer. Les animaux ont une horloge biologique interne qui permet la régulation de leurs rythmes alimentaire et de sommeil ou encore les périodes de migration. Ces cycles sont aujourd’hui perturbés par une pollution lumineuse nocturne croissante. Plus de 80 % de la planète vivait en 2016 sous un ciel éclairé en permanence ou de façon trop intense par des lumières artificielles 6, dont 22 % de la zone côtière (jusqu’à 54 % des côtes européennes), et cette pollution augmente de 2 % à 6 % par an.
L’océan se retrouve ébloui, soit directement par les lumières émises depuis la Terre (éclairage public, publicités, éclairage privé…), soit par un halo lumineux diffusé depuis les grandes villes. En mer, les navires et équipements maritimes (plateformes, éoliennes…) illuminent aussi la nuit. Et de nombreux organismes sont particulièrement sensibles à la lumière bleue des LEDs, de plus en plus employées 7.
Des tortues marines désorientées par l’éclairage urbain
L’éclairage artificiel peut empêcher de distinguer les phases de la Lune. Une information pourtant essentielle, par exemple pour les centaines d’espèces de coraux se reproduisant la nuit à la pleine lune. Les bébés tortues peuvent être très perturbés par les lumières côtières. À la sortie de l’œuf, ils se repèrent à la lumière du soleil levant pour gagner la mer. Leurrées par l’éclairage urbain des centaines d’entre eux prennent la direction opposée.
La lumière perturbe le développement des seiches
Les nuisances générées par les éclairages artificiels sont particulièrement visibles sur les seiches dont les œufs sont déposés en grappes dans les algues. Des chercheurs du Muséum ont montré que la lumière traverse la capsule sombre qui enveloppe les embryons de ces céphalopodes. L’exposition à des LEDs a des effets sur le développement de neurones dopaminergiques, impliqués dans le comportement alimentaire, le mouvement, la mémorisation. Leurs travaux ont aussi montré que de nombreux organes de la seiche seraient photosensibles, de la peau aux organes profonds. L’impact de la surexposition lumineuse pourrait donc être bien plus important qu’attendu, y compris pour d’autres animaux nocturnes comme les seiches.
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F. Falchi, P. Cinzano, D. Duriscoe, C. C. M. Kyba, C. D. Elvidge, K. Baugh, B. A. Portnov, N. A. Rybnikova, R. Furgoni, The new world atlas of artificial night sky brightness. Sci. Adv. 2, e1600377 (2016) doi/10.1126/sciadv.1600377
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Sánchez de Miguel et al., Environmental risks from artificial nighttime lighting widespread and increasing across Europe, Science Advance. 8, eabl6891 (2022) doi/10.1126/sciadv.abl6891

Les huîtres, immobiles, ne peuvent échapper aux lumières côtières. Une étude française montre que celles-ci modifient leur comportement alimentaire, leur croissance, et affectent leur microbiote. Port ostréicole de la guittière, Jard-sur-Mer (Vendée)
© JONATHAN - stock.adobe.comRetrouver la nuit
La lutte contre la pollution lumineuse repose essentiellement sur la réduction de la luminescence et de l’intensité des LEDs, la suppression des éclairages orientés vers le ciel à la faveur de ceux pointés vers le sol et, à privilégier, l’extinction des lumières le plus souvent possible. Seule l’extinction réduit la pollution lumineuse marine car, sur les côtes et dans les zones portuaires, même les éclairages au sol génèrent un halo qui perturbe la vie marine.
Article rédigé en mai 2025
Pour aller plus loin
Relecture scientifique

Laure Bonnaud-Ponticelli
Biologiste, Professeure du Muséum national d’Histoire naturelle (Laboratoire de Biologie des Organismes et Écosystèmes Aquatiques - UMR BOREA)

Valentin Dettling
Biologiste, doctorant au Muséum national d’Histoire naturelle (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité - UMR ISYEB 7205 et laboratoire de Physiologie Moléculaire et Adaptation - UMR PhyMA 7221)

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