L'effondrement des forêts pluviales du Carbonifère
Il y a un peu plus de 300 millions d’années, alors que la flore et la faune s’épanouissent dans les zones humides de la Pangée, une importante crise frappe la flore terrestre : il s’agit de la crise d’effondrement des forêts pluviales du Carbonifère.
Les premières forêts sont apparues sur la terre ferme il y a plus de 360 millions d’années, au Dévonien, et se sont fortement développées au Carbonifère (voir frise chronologique en fin de page).
Toutefois, à cette époque, les plantes qui habitaient ces zones humides vastes et étendues étaient particulièrement vulnérables aux changements environnementaux, qu'ils soient locaux ou globaux.
Une crise impactant la vie à la surface de la Pangée

Les Psaronius sont des fougères arborescentes, pouvant mesurer plus de cinq mètres de haut. Ils se développaient uniquement dans des milieux très humides.
© Excurio - Guillaume DuflosDans l’histoire de la vie sur notre planète, seules deux grandes extinctions ont eu des conséquences majeures sur la flore continentale. La plus célèbre est l’extinction Permien-Trias survenue il y a 252 millions d’années, mais la première fut la crise d’effondrement de la forêt pluviale du Carbonifère1.
Cette crise est provoquée par une période d'aridification du climat, qui mène à l’assèchement des zones humides de la Pangée.
À une époque où les grandes forêts vivent les pieds dans l’eau et sont totalement dépendantes d’un climat chaud et humide, près de la moitié des familles de plantes s’éteignent en une dizaine de millions d’années.
Un refroidissement climatique
À la fin du Carbonifère, un important refroidissement du climat provoque une grande glaciation de la moitié sud de la Pangée.
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Cascales-Miñana Borja & Cleal Christopher J., 2014 — The plant fossil record reflects just two great extinction events. Abstract Five great taxonomic extinctions (the so-called ‘Big Five Mass Extinctions’) are widely recognized in life history, Terra Nova vol. 26, n° 3, p. 195-200. doi/10.1111/ter.12086
Ce refroidissement du climat est dû à une réduction de l’effet de serre, cette réduction étant elle-même induite par la baisse de la concentration en dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère. Le CO2 est massivement consommé par deux phénomènes au cours du Carbonifère :
- La croissance des grandes forêts : les plantes captent du CO2 dans l’air, qui est piégé dans leurs tissus. Lorsqu'une forêt meurt, elle est en partie enfouie dans le sol, et ces tissus peuvent être transformés en charbon. Ainsi, ce CO2 est retiré de l’atmosphère.
- L’érosion des massifs montagneux : au cours de la même période, dans les massifs montagneux récemment formés, un phénomène d’érosion a lieu à grande échelle. Sous l’action de l'eau, ces roches sont altérées par des réactions chimiques consommant de grandes quantités de CO2.
En conséquence de ce refroidissement, l’un des principaux épisodes glaciaires de la fin du Paléozoïque touche le sud de la Pangée, il y a 307 à 296 millions d’années 2. Certaines terres se couvrent alors d’une couche de glace pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres d’épaisseur. Leurs traces fossiles subsistent dans les régions du Karoo en Afrique du Sud 1 et du Paraná au Brésil.
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Oscar López-Gamundí, Carlos O. Limarino, John L. Isbell, Kathryn Pauls, Silvia N. Césari, Pablo J. Alonso-Muruaga. The late Paleozoic Ice Age along the southwestern margin of Gondwana: Facies models, age constraints, correlation and sequence stratigraphic framework,
Journal of South American Earth Sciences, Volume 107, 2021.
doi.org/10.1016/j.jsames.2020.103056 - 1
VISSER, J.N.J. (1997), Deglaciation sequences in the Permo-Carboniferous Karoo and Kalahari basins of southern Africa: a tool in the analysis of cyclic glaciomarine basin fills. Sedimentology, 44: 507-521. doi.org/10.1046/j.1365-3091.1997.d01-35.x
Qu'est-ce que l'albédo ?
La formation des calottes glaciaires crée de grandes étendues qui réfléchissent la lumière du soleil. C’est l’effet albédo : les rayons du soleil sont réfléchis et renvoyés par la glace, plutôt que d’être partiellement captés par la surface de la Terre.
Ce phénomène limite le réchauffement de la planète par l’énergie solaire et peut accentuer le refroidissement global. Aujourd'hui, la fonte des glaciers pourrait être un phénomène aggravant du dérèglement climatique, avec une diminution de l'albédo, contribuant ainsi au réchauffement.
La désertification du supercontinent Pangée

Les principaux continents finissent de se regrouper à la fin du Carbonifère, formant la Pangée.
© MNHN - K. PeyerLa formation de ces importantes surfaces de glace au Sud de la Pangée emprisonne de grandes quantités d’eau. Cela affecte directement le niveau des mers, qui baisse de plusieurs dizaines de mètres.
Une atmosphère plus froide est également moins chargée en molécules d'eau, et donc moins propice aux climats pluvieux, ce qui accentue encore l’assèchement des milieux continentaux.
La Pangée de la fin du Carbonifère est un continent de très grande taille, qui correspond aux actuelles Amérique, Afrique, Antarctique, Australie et Eurasie réunies. La plupart des terres sont donc très éloignées des côtes et des eaux maritimes et ne bénéficient pas de l'influence humide de la mer.
La Pangée devient de plus en plus aride. Les zones humides où se développe la vie terrestre sont par définition très sensibles à la sécheresse : nombre d’entre elles s’assèchent et les forêts qui s’y trouvent disparaissent. Leur persistance est également mise à mal par les mouvements tectoniques qui fractionnent et modifient les milieux à mesure que les chaînes de montagnes se forment.
Impact sur les forêts pluviales du Carbonifère

Parmi les plantes peuplant les forêts du Carbonifère se trouvaient notamment des fougères arborescentes. D’autres plantes de ce type existent encore aujourd’hui, mais uniquement dans les forêts humides.
© John - stock.adobe.comParmi les nombreux milieux humides du Carbonifère, certains résistent tout de même à ces changements et deviennent des refuges pour les populations de plantes et d’animaux, leur permettant de survivre à cette crise.
Ces refuges sont notamment situés dans des systèmes de lacs de montagne ou à proximité de la mer, là où persistent des environnements moins secs. Mais le déclin des zones humides de la Pangée provoque tout de même la disparition de la moitié des familles de plantes en l’espace de douze millions d’années.
Les plantes arborescentes qui dominent jusqu’alors les forêts du Carbonifère ont des besoins en eau très importants et sont ainsi très fortement impactées par la sécheresse. C’est notamment le cas des groupes des Lycophytes (lépidodendrons, sigillaires) ou des Calamites, qui deviennent de plus en plus rares dans les forêts.

Fossile de Walchia hypnoides, datant du début du Permien, peu après l’effondrement de la forêt pluviale du Carbonifère. Ses feuilles coriaces en “griffe de chat”, de moins d'un centimètre de long, font de lui un arbre adapté à un climat moins humide que celui des marais carbonifères.
© MNHNLes conifères, des arbres adaptés aux climats secs
Un type d’arbres récemment apparus à la fin du Carbonifère possède de plus petites feuilles et se reproduit via des graines, mieux adaptées que les spores pour la reproduction en milieu sec. Ces arbres sont les premiers conifères.
Ces caractéristiques leur permettent non seulement de survivre à cette période de sécheresse, mais également de se diversifier lors des dizaines de millions d’années suivantes.
L’effondrement de la forêt pluviale du Carbonifère marque le début d’une période de plus de 200 millions d’années où les conifères seront les arbres les plus fréquents sur Terre. Mais cette crise frappera aussi fortement les populations d’amphibiens, principaux habitants de ces forêts avec les insectes et d’autres arthropodes.
Les prémices de la grande diversification des amniotes
Parmi les animaux qui peuplent les forêts de la fin du Carbonifère, un groupe de tétrapodes est adapté à la vie dans des milieux moins humides. Il s’agit des premiers amniotes, ancêtres des reptiles, oiseaux et mammifères.
Ils connaîtront une forte diversification dès le Permien, puis au Mésozoïque, 50 millions d’années après la fin du Carbonifère, avec l’apparition de grands groupes tels que les mammifères ou les dinosaures.
Le changement climatique, du Carbonifère à aujourd'hui
Au Carbonifère, le taux de CO2 atmosphérique diminue. Cela provoque une diminution de l’effet de serre et un refroidissement global de la planète.
Aujourd’hui, à l’inverse, le carbone (présent en quantité dans les énergies fossiles comme le charbon et le pétrole) est sorti du sol et réintroduit massivement dans l’atmosphère, ce qui accentue l’effet de serre et provoque un réchauffement climatique.
Mais le changement climatique actuel n’est pas comparable en termes de durée. Il se produit en l’espace de quelques décennies : un temps bien plus court que les dizaines de millions d’années qui ont permis le stockage de carbone sous forme de charbon.
Article rédigé en février 2024. Mis à jour en avril 2025.
Le Carbonifère dans l'histoire de la vie
Relecture scientifique

Anaïs Boura
Paléobotaniste, maître de conférence et chargée d'enseignement au Centre de Recherche en paléontologie - Paris (CR2P, UMR 7207)
Borja Cascales-Miñana
Paléontologue à l'Université de Lille, unité Evo-Eco-Paléo (EEP) – UMR 8198