La paléo-bioinspiration : quand les fossiles inspirent le futur
La paléo-bioinspiration est un domaine qui consiste à s’inspirer des espèces fossiles pour concevoir des solutions aux défis environnementaux et sociétaux modernes.
Qu’est-ce que la bioinspiration, et pourquoi l’ouvrir à la paléontologie ?
La paléo-bioinspiration est une branche de la bioinspiration. Cette dernière consiste à s’inspirer du vivant pour développer de nouveaux produits, processus et systèmes, notamment à des fins de développement durable.
La bioinspiration tire sa force de la variété des formes de vie étudiées, de la connaissance des fonctions associées à leurs caractéristiques physiques, et de leurs nombreuses adaptations aux contraintes imposées par leurs milieux de vie et par l'environnement.

Dinosaures éteint il y a 66 millions d’années, les pachycéphalosaures ont un crâne très intéressant de par sa résistance, étudiée pour concevoir des casques de protection.
© Dottedyeti - stock.adobe.comLes apports de la paléontologie et du registre fossile
La paléo-bioinspiration, plutôt que d’étudier les espèces actuelles, ouvre ce champ d’étude à la paléontologie, et plus particulièrement à la connaissance des espèces disparues, depuis leurs adaptations jusqu'à leurs modes de vie.
Les espèces fossiles sont 1000 fois plus nombreuses que les espèces actuelles, et certaines présentent des adaptations et des formes inconnues parmi celles-ci. Il s’agit donc d’autant de sources d’inspiration qui ne sont pas encore explorées dans le cadre de la bioinspiration, alors qu’elles représentent 99,9 % des espèces ayant existé !
Une approche écoresponsable
L’économie de ressources et la diminution des émissions de gaz à effet de serre sont au cœur des enjeux des sociétés modernes. Le vivant a beaucoup à nous apprendre dans ce cadre, à travers ses systèmes de captation et stockage de l'énergie, de redistribution de l’eau, d’utilisation efficace des matériaux, de structures multifonctionnelles, etc. Cette grande variété de dispositifs économes en énergie et en ressources pourrait aider l’humanité à relever les défis d’une transition écologique urgente.
Dans cet esprit, le Muséum national d’Histoire naturelle s’engage dans des projets de bioinspiration et de paléo-bioinspiration que s'ils ont vocation à soutenir un développement et une planète plus durables.
Zoom sur les espèces géantes... et leurs os
Les espèces actuelles sont un instantané de la vie à une période précise. Elles ne permettent d’étudier qu’un échantillon des formes possibles. Des centaines d’autres instants dans l’histoire de la vie ont présenté une aussi grande diversité d’espèces .
Des formes présentes chez une espèce actuelle peuvent ainsi être apparues de nombreuses fois au cours des dernières centaines de millions d’années, mais être peu représentées parmi les formes de vie actuelles.

La structure des os, plus creuses que celles des colonnes en béton, peut inspirer des colonnes moins consommatrices de ressources.
© MNHN - A. HoussayePrenons l’exemple des structures osseuses : les os ont une structure interne complexe et creuse, qui permet d’allier résistance et légèreté, de façon plus optimale que des structures pleines.
Des études récentes permettent de concevoir des structures porteuses, notamment dans le domaine du bâtiment, en s’inspirant des microstructures des os afin d’obtenir un très bon ratio entre capacité de portage et utilisation de ressources matérielles.

Les Paraceratherium appartiennent à la même famille que les rhinocéros actuels, mais ils pouvaient mesurer 4 mètres de haut et peser plus de 15 tonnes.
© Juulijs - stock.adobe.comS’inspirer des animaux terrestres les plus lourds
Si on étudie les adaptations permettant aux « géants » terrestres actuels de supporter leur propre poids, on devra se limiter à l’étude des éléphants d’Afrique, pouvant peser jusque 8 tonnes, et quelques autres animaux.
En ouvrant légèrement cet exemple au registre fossile, il devient possible d’étudier de proches parents des éléphants, incluant les mammouths, pesant près de 10 tonnes, plus grands que l’éléphant d’Afrique actuel.
En cherchant plus loin, toujours chez les mammifères, il y a environ 30 millions d’années vivaient des animaux de la lignée des rhinocéros, les Paraceratherium, pesant jusque 20 tonnes.

De nombreux fémurs de sauropodes ont été découverts lors de fouilles, comme l’été 2024 à Angeac-Charente.
© MazanMais lorsqu'il s'agit d'étudier les animaux les plus lourds à avoir marché sur la terre ferme il faut pousser jusqu'au Mésozoïque, et au groupe des Sauropodes. Ces grands dinosaures quadrupèdes au long cou pouvaient peser plus de 100 tonnes !
En étudiant les os des Sauropodes et en les comparant aux autres grands animaux actuels ou disparus, on peut mieux comprendre les adaptations qui permettent à ces structures d’être très résistantes, sans être trop lourdes.
La structure interne des os fossiles est étudiée aujourd'hui, dans le cadre de la paléo-bioinspiration, pour concevoir des structures porteuses bien moins coûteuses en matériaux, pour une même résistance mécanique.
Ces structures osseuses pourraient également inspirer des technologies médicales (prothèses...), aéronautiques et robotiques.
Les collections exceptionnelles du Muséum comme objets d’étude
En plus de ses activités de recherche et de son expertise scientifique, le Muséum national d’Histoire naturelle possède l’une des plus importantes collections de Paléontologie au monde, avec plus de 5 millions de spécimens.
De toutes tailles, et issus de toutes les périodes de l’histoire de la vie sur Terre, ces spécimens témoignent de la diversité des groupes d’espèces disparues : espèces animales ou végétales, modes de vie marins, terrestres ou volants, vertébrés ou invertébrés...
Ces collections constituent une gigantesque bibliothèque de modèles biologiques pouvant inspirer des innovations techniques qui s’inscrivent dans la transition écologique et le développement durable.
Les espèces disparues ne sont ni « inadaptées » ni « obsolètes »
Une vision très répandue, mais surtout erronée, de l’histoire de la vie consiste à penser que l’évolution aurait un sens, une direction : des espèces « obsolètes » seraient remplacées par des espèces plus adaptées, plus performantes, en un mot : « meilleures ».
Dans un contexte de bioinspiration, cela signifierait que seules les espèces les plus récentes seraient dignes d’intérêt.

Des événements tels que l’impact d’un astéroïde peuvent signer la fin de milliers d’espèces, même si celles-ci étaient très adaptées à leur environnement.
© James Thew - stock.adobe.comEn réalité, cela est faux. Les groupes d’espèces peuvent survivre des dizaines de millions d’années grâce à leurs adaptations, puis s’éteindre en raison d’un changement environnemental brutal. Ce fut par exemple le cas des ptérosaures, vertébrés volants qui ont perduré plus de 150 millions d’années avant de disparaître complètement lors de la crise Crétacé-Paléogène. Cela ne remet nullement en question l’ensemble des caractéristiques permettant la survie et la reproduction de l’espèce durant leur période de vie sur Terre, ni le potentiel offert par ces espèces pour l’innovation bioinspirée.
En effet, les espèces de très grande taille, ainsi que les prédateurs, ont souvent été fortement impactés par les crises environnementales. Pourtant, les adaptations qui leur ont permis d’atteindre ces tailles (structures osseuses des vertébrés, troncs des arbres...) ou d’être des prédateurs efficaces (dentition, membres...) restent des sources de bioinspiration particulièrement intéressantes pour des domaines variés.
Les fruits de l’évolution
Au cours des derniers 3,8 milliards d’années, des milliards d‘espèces ont vécu sur Terre, chacune adaptée à son environnement. Cette immense diversité écologique constitue autant de sources d’idées potentielles à disposition des chercheurs, ingénieurs et designers souhaitant trouver des solutions à leurs défis techniques au sein de leurs démarches en recherche et développement !

Certains ptérosaures, comme ces Quetzalcoatlus, pouvaient atteindre de grandes tailles, équivalentes aux girafes actuelles.
CC BY 3.0 Fotos 593 - stock.adobe.comLes formes de vie qui ont fait la preuve du temps
Aucune espèce n’est parfaitement optimisée, mais les organismes les mieux pourvus face aux conditions environnementales parviendront davantage à se reproduire et ainsi à transmettre leurs caractéristiques. Les formes de vie ayant vécu des millions d’années avant leur disparition peuvent ainsi être un indice d’une bonne adaptation aux nombreuses variations qu'a connu leur milieu au cours du temps.
Reprenons l'exemple des ptérosaures : ces vertébrés volants sont apparus il y a près de 230 millions d'années, et ont dominé les airs dans la plupart des milieux jusqu'à leur extinction il y a 66 millions d'années. Au moins 200 espèces différentes de ptérosaures sont aujourd'hui connues des paléontologues, elles présentent des morphologies et modes de vie variés.
Ce groupe a ainsi dominé le ciel pendant des millions d’années, grâce à une combinaison de traits adaptatifs. Par exemple, le tissu complexe, irrégulier et à parois minces de leurs ailes était à la fois léger et très résistant. Ceci leur permettait de voler, d'atterrir, mais également de nager et de marcher.

Certains coquillages bivalves sont capables de s’enfouir dans les fonds marins. La diversité de formes, tailles et structures externes de leurs coquilles – très bien préservées dans le registre fossile – permet d’imaginer des systèmes capables de s’ancrer dans les substrats instables.
© D. P. Germann et J. P. Carbajal 2013Étudier les variations d’une même forme
Au sein d’un même taxon (ensemble d'espèces descendant d'un même ancêtre), plusieurs groupes d'espèces peuvent développer des variations d’une même forme. Il existe par exemple plusieurs formes d’ailes chez les oiseaux et plusieurs formes de carapaces chez les crustacés ou chez les mollusques, surtout en prenant en compte l’ensemble de l’histoire évolutive de ces groupes.
Ces multiples variations sont autant d’exemples complémentaires qui peuvent être utilisés dans le cadre de la bioinspiration, afin de trouver la solution la plus adéquate à un besoin industriel exprimé, en s'inspirant des formes apparues au cours de l'évolution.

Groupes d'espèces marines ayant des ancêtres terrestres, les ichthyosaures et les dauphins ont indépendamment développé des adaptations très poussées pour se déplacer et chasser dans l’eau, à la manière de certains requins et poissons.
© Ichthyosaure par MNHN - C. Dégardin, Dauphin par SciePro - AdobeStockParfois, l’étude peut également porter sur des groupes morphologiquement similaires, mais très différents phylogénétiquement : c’est à dire éloignés les uns des autres dans « l’arbre du vivant ».
Malgré des origines évolutives distinctes, certaines espèces peuvent acquérir des traits similaires. C'est ce qu’on appelle la convergence évolutive. Par exemple :
- la natation « thunniforme », apparue séparément chez les poissons osseux, les requins, les mammifères et les ichthyosaures ;
- les yeux camérulaires, ou « yeux caméra », apparus à la fois chez les céphalopodes, les vertébrés et chez certaines méduses.
Ces traits communs indiquent qu'une même « solution » à un « problème » fonctionnel donné a fait ses preuves dans des contextes différents. Cette convergence évolutive pourrait donc représenter une source fiable d'idées pour la bioinspiration. Le registre fossile présente davantage d’exemples de convergence évolutive que les espèces actuelles, et les biologistes de l'évolution ont une connaissance avancée de ce phénomène.
Un registre fossile complémentaire au registre actuel
Bien sûr, les espèces et environnements actuels sont pour leur part bien mieux connus que ceux du passé. Ainsi, dans le domaine de la bioinspiration, le registre fossile est un complément au vivant actuel, et non un substitut à ce dernier.
La paléontologie et la biologie de l’évolution apportent une meilleure compréhension des formes de vie actuelles et des contextes dans lesquels les particularités de certaines espèces ont pu apparaître. En retour, l'étude des espèces actuelles est un apport essentiel à la compréhension des formes de vie passées.
A quels domaines s’applique la paléo-bioinspiration ?

Parmi la multitude d’insectes volants pouvant inspirer l’industrie, les plus grands sont les libellules géantes Meganeuropsis et Meganeura, ayant vécu il y a près de 300 millions d’années.
© warpaintcobra - stock.adobe.comLa paléo-bioinspiration peut compléter les connaissances du vivant en expliquant l’origine de certaines formes et en fournissant de nombreux exemples de formes alternatives disparues.
Dans certaines industries, le registre fossile est particulièrement propice à la bioinspiration, en voici quelques exemples :
- L’innovation marine et la conception de structures sous-marines, car une grande partie des organismes fossiles connus sont des espèces marines ;
- Le bâtiment, qui peut s’inspirer d’organismes géants disparus, bien plus nombreux et divers que les « géants » actuels ;
- L’aéronautique, en raison de la grande variété des espèces volantes du passé, connues à divers stades de leur adaptation au vol ;
- Les technologies protectrices, car de très nombreuses espèces disparues étaient pourvues d’armures, ou squelettes externes, les protégeant des prédateurs, or ces structures rigides sont propices à la fossilisation ;
- L’adaptation au changement environnemental, via l'étude des crises du passé, et de la façon dont les écosystèmes se sont adaptés ou reconstruits.
Néanmoins, la paléo-bioinspiration est un domaine jeune. Le premier atelier international sur la paléo-bioinspiration et le premier symposium international, organisés par le Muséum national d’Histoire naturelle, datent respectivement de 2021 et 2023. De nombreux potentiels d'inspiration offerts par le registre fossile restent encore à découvrir.
Référence scientifique

Annabelle Aish
Cheffe de projet Bioinspire-Muséum.
Relecture et validation
Alexandra Houssaye, directrice de recherche CNRS (Mécanismes Adaptatifs : des Organismes aux Communautés - UMR 7179).
Guillaume Lecointre, professeur du Muséum national d'Histoire naturelle (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité - UMR 7205).
Publication scientifique
Aish Annabelle, Broeckhoven Chris, Buffa Valentin, Challands Tom, Du Plessis Anton, Fletcher Tom, Frey Eberhard, Garrouste Romain, Houssaye Alexandra, Lecointre Guillaume, Perricone Valentina, Petit Luce-Marie, Shyam Vikram, Speck Thomas & Habib Michael, 2025 — Palaeo-bioinspiration: Drawing on the fossil record to advance innovation. Communications biology. 10.1038/s42003-025-08043-6